Potentiel suite à la fable La Cigale et la Fourmi
Je puis me plaindre que les buissons de rose aient des épines ou me réjouir que les buissons d'épines portent des roses.
Tournant le dos à sa voisine avare
La tête basse et l’estomac dans les talons
La Cigale s’en fût en traînant sa guitare
A travers hameaux et vallons.
La neige recouvrit bientôt les feuilles mortes.
Mais la déshéritée eut beau frapper aux portes
Supplier haut et fort
Qu’on daignât lui jeter un peu de nourriture,
Rien n’y fit.
Malgré la froidure
Tous l’abandonnent à son sort.
“Il ne me reste plus qu’à attendre la mort !
“Se désole la malheureuse, “mais avant
Je veux, dans un dernier effort
Arracher à mon instrument
Ses plus pathétiques accords.
Cet ultime concert sera mon testament.“
Et voilà que s’élève au cœur de la tourmente
Une plainte si émouvante
Si belle, si sauvage et si triste à la fois
Qu’elle tire tous les bourgeois
De leur léthargie égoïste
L’un d’eux sort de chez lui, criant : “Bravo, l’artiste !“
Un à un, ô merveille,
S’ouvrent les huis ; l’on prête oreille
Au chant de la cigale.
On écoute, on s’émeut, on pleure, on se régale,
Et les sous de pleuvoir,
Preuve qu’on apprécie un si beau désespoir.
Quand avec apparat la misère s’exprime
Elle acquiert du public les faveurs unanimes :
Gosier mélodieux n’implore pas en vain.
Mais il est tant de gens qui ne savent pas geindre
Qu’on ne devine pas, en croisant leur chemin,
Qu’ils sont seuls, démunis, qu’ils ont froid, qu’ils ont faim.
Les pauvres sans talent sont bien les plus à plaindre !
Gudule, Après vous, M. de La Fontaine, Contrefables, Hachette, 1995